Construire de petits abris minimalistes, avec juste une feuille de papier, quelques coups de ciseaux et la machine à coudre pour fixer la mise en forme. On part du plan, et en un tour de main, un volume simple surgit. C’est un peu le rappel des cabanes d’enfants inventées avec une pièce de tissu posée sur une table ou entre trois ou quatre chaises. On fait avec ce qu’on a… Les formes diffèrent l’une de l’autre, quelques détails graphiques ou colorés s’ajoutent à chaque abri, le personnalisant ainsi.
Le besoin de s’installer, d’aménager plus ou moins son espace vital vient ensuite : éléments de mobiliers improvisés, objets quotidiens…sont là remplacés par une sorte de tapis tissé avec des morceaux, des bouts de dessins, comme un patchwork. . Sur ces chutes de papier, des réseaux graphiques évoquent les parcours répétés quotidiennement, du dedans vers le dehors ou l’inverse. Cela permet d’instaurer des limites à un espace au sol. L’abri et ses alentours, même réduits, protègent un peu l’intimité.
Des matériaux de récupération, des actions simples, visibles, fonctionnent dans une économie du peu, du modeste. Facile à construire – Facile à démonter.La petite tente en tissu m’a tout d’abord évoqué des habitats d’ailleurs (yourte de Mongolie, igloo, tentes du Sahara…). Puis un retour aux sources, peaux tendues sur des branchages, écho lointain aux habitats préhistoriques.
Mais, ce qui, en premier lieu, peut apparaître « exotique » ou d’un autre temps, n’est en réalité qu’une autre manière d’habiter l’espace pour s’adapter à son environnement.
Les tentes qui se propagent aujourd’hui dans les villes sont des objets détournés de leur utilité première. Elles incarnent l’urgence, la nécessité de survivre dans un milieu hostile.
Les trois modules, structures qui se déploient devant le petit habitat précieux font écho aux rues qui s’entrecroisent et qui nous offrent de plus en plus le même paysage d’abris disséminés et ancrés dans le bitume.
Les bambous sont répertoriés « parmi les espèces invasives par leurs aptitudes à coloniser rapidement un milieu via leurs rhizomes». Ils symbolisent ici cette propagation incontrôlable de la précarité. Les papiers tendus entre ces structures sont à l’image des « murs » minces, fragiles et dérisoires de ces tentes urbaines, abris de fortune, voués à disparaître.
« Les tentes sont une fragilité faite forme »1.
Les tentes urbaines sont partout, au coin d’une rue, et elles giflent notre rapport au monde, à la société, à l’isolement et font état de notre impuissance.
De la Quetchua des villes à l’objet-maquette précieux qui attire l’attention et propose un répit douillet de Luce, j’ai voulu apporter une force de résistance en lui greffant un réseau racinaire.
La tente, la cabane précaire est un acte de survie humaine et la prolonger de racines est une tentative de lui donner une possibilité de vie, un ancrage. Le réseau de fibres de mûrier déployé sur les côtés de la tente miniature s’étale en réseaux linéaires cherchant à prendre racine dans l’espace d’exposition.
L’Atlas racinaire2 démontre la puissance souterraine de tout végétaux et révèle la merveille du réseau linéaire fragile qui fait forme. Il fait écho à ma pratique de fils et fibres emmêlés.
La réalisation en devenir serait suspendue à 5cm du sol pour laisser les racines-fibres hors du sol mais avec les extrémités en contact de celui-ci. Recherche d’un point d’accroche en devenir.
S’y adjoint, pour l’instant de manière non aboutie, sur le tissu, un QR code permettant d’accéder à des photos de tentes vues à l’occasion de nos déplacements urbains. Ces images récoltées deviennent accessibles, captent notre regard médusé, pétrifié et connectent la création utopique-imaginaire au réel effroyable.
« Nous ne sommes pas de simples témoins de ce qui se passe. Nous sommes les corps par lesquels la mutation arrive et s’installe. La question n’est plus de savoir qui nous sommes, mais ce que nous voulons devenir. »3
1- Citation de Luce pour sa proposition TENTER.
2-Atlas racinaire : https://images.wur.nl/digital/collection/coll13/id/924/rec/185
3- Paul B. Preciado, Dysphoria Mundi, Ed. Grasset, 2022, p 65.