Geste 1/5 - Le marronnier du Square du Vert-Galant choisi par Capucine B.
Le choix s’est posé sur un marronnier dont le tronc présente une cavité, à hauteur d’yeux, en forme d’amande pourvu de deux bourrelets d’écorce de chaque côté.
Proposer au collectif une intervention sur cet arbre s’est imposé comme une invitation à poser un regard sur une blessure. Il s’agit, en effet d’une cicatrice végétale en devenir sur un arbre vivant et majestueux de plusieurs décennies. Je me suis arrêtée, subjuguée par cette cavité ressemblant fortement à une vulve. Le groupe allait devoir accompagner cette présence végétale à forte évocation sexuelle.
L’écorce sert de protection à la vie interne de l’arbre. Ce marronnier a donc cicatrisé une entaille comme notre peau peut le faire. Cette ancienne blessure a-t-elle été due à une attaque d’un champignon lignivore, ou de bactéries ou de quelques insectes ? A-t-il subi une rupture de branche par la foudre ? Ou est-ce les traces du fameux fléau concernant les marronniers, la maladie du chancre ? Toujours est-il qu’il s’est formé deux bourrelets cicatriciels qui vont petit à petit recouvrir la plaie pour rétablir l’écorce. Devant ce processus lent à notre échelle du temps, il reste une vision qui me regarde, m’incarne quand je ne peux éluder le fait que je me nomme Capucine Bourlet. Un prénom d’une fleur, d’un végétal et un nom évoquant justement cette manifestation de chair cicatricielle.
Mais cette forme résiliente d’une plaie végétale renvoie surtout à une image de vulve (géante) humaine. Non pas pour poser un regard humanisé de la nature mais « pour exprimer la dimension non-inerte de la nature » 1.Ce nouveau regard tend à prendre en acte et en conscience le rapport si peu concerné que nous avons, nous les parisiens(ienes) avec le règne végétal. Comme si la nature était un décor, un divertissement pour sa beauté relaxante. Bruno Latour nous invite à questionner la notion d’environnement parce qu’ « il n’existe pas sans tous les organismes vivants qui nous entourent »2.
Alors face à cette béance, j’ai voulu y répondre par une affirmation sexuée en l’accompagnant d’un Mont de pubis. A cette trouée en devenir j’y ai mêlé une toison faite des méandres de fibres de murier et de fils de couture. Une réponse plastique pour dialoguer avec les méandres de l’écorce écailleuse du marronnier.
S’y emmêlent cinq figures cousues, cinq visages féminins renversés à la bouche criante. Évocation de nous cinq réunies, artistes femmes solidaires dans cette expérience artistique et "terrestre" 3.
Cette sculpture de fils s’est constituée grâce au geste de la couture et d’un passage en immersion pour obtenir sa matière. Ces deux actes renvoient à nos origines, celle de l’eau-matrice de vie et celle du savoir-faire des couturières des générations précédentes. L’acte créateur veut incarner autant le processus de vie que celui, sociétal, de la femme. L’intime y est engagé par l’évocation sexuelle d’une vulve mais il veut donner une présence qui se veut joyeuse, sans complexe. Une affirmation du féminin qui épouse l’organique dans sa dimension vivante avec les blessures qu’elle sous-temps. Je ne peux faire l’impasse à l’énergie féminine qui tente de s’émanciper encore et encore dans notre société à l’héritage patriarcal. Serait-ce un acte politique féministe ? Donner à voir l’évocation d’un sexe féminin est-il encore un geste subversif ? Peut-être. Mais depuis les années 70, les femmes artistes ont cherché à l’exposer non comme objet sexuel désiré par la société mais comme affirmation de vie, d’union avec le monde, comme un organisme complet.
Est-ce un hasard ? Le square doit son nom à Henri IV surnommé le « Vert-Galant » en raison de ses nombreuses maîtresses malgré son âge avancé. Le square est dominé par une statue équestre d'Henri IV, elle-même très verte (en bronze) reposant sur le Pont Neuf (lequel sépare le square du reste de l'île). En ce haut lieu de pouvoir masculin, une vulve en majesté s’y imposait, comme pour y apporter toute la candeur de son ultime force de vie.
1- Eva Plumwood, Réanimer la nature, Presse Universitaires de France, 2020, p. 81.A fleur de peau : Main en écorces de clémentines.
Chirurgie plastique, morceaux cousus les uns aux autres, cicatrises apparentes. Ces blessures entrent en résonance avec celle du tronc.A fleur de peau surgit désespérément de cet entrebâillement naturel, tentative pour s’extraire de l’habitacle, de la carapace du vieux marronnier. De cette plaie pétrifiée naît une autre forme de vie, une main, végétale, qui s’accroche, tendue vers les branches, vers le ciel. Nature domestiquée, façonnée à notre image, faussement libre dans un écrin de verdure citadin. La main de l’homme est encore là même lorsqu'elle cherche à se faire oublier.