Paysages-gants-de-toilette
Négligemment oubliés au bord de la baignoire, les gants de toilettes mal rincés, gorgés d’eau savonneuse, prennent une forme montagnarde.
Oubliés plusieurs jours les voilà secs, solidifiés grâce au savon, prêts à servir de paysages aventureux à une faune miniature curieuse.
Ours et poissons, sculptés dans des résidus de savonnettes, peuplent ces massifs qui se combinent les uns aux autres, comme une maquette de train électrique, un plan-relief imaginaire.
Peignoir, argile rose, verte, blanche, eau du lot.
De la broderie au dépôt d’argiles colorées.
De la figuration en coutures graphiques de vulves, de fleurs et d’yeux, j’invite l’argile, terre ancestrale et soignante avec ses craquelures et sillons.
L’exposition dans ce village thermal m’a fait revenir sur une pratique familiale de soin à l’argile verte sous forme de cataplasmes sur gants de toilette, de talc. Je l’ai vue, enfant, manipulée, humide, douce, collante, craquelante pour soigner la sciatique de ma mère, les migraines et mes bleus. Souvenirs de souffrance et de délivrance, cette pratique de médecine naturelle s’est greffée à l’appel du limon de la rivière, le lot, et à son évocation dans le projet collectif Méandres. Le dépôt des argiles se trouve à l’extrémité de l’installation faisant écho à la source suggérée par des broderies suspendues en cascade.
Ses craquelures sont autant le signe d’une sécheresse actuelle que de son énergie à soigner. Ces terres ont été déposées au bas du peignoir déchiqueté, échoué là, en lambeaux pour devenir méandres de tissu et tentacules de pieuvres ou de méduses.
Une métamorphose aquatique s’opère qui se présente sous la forme d’un support mouvementé aux coutures de vulves et d’yeux en lignes serpentines.
Allier la figuration du sexe et de l’œil, motifs récurrents de ma pratique, est un jeu sur la similitude de leurs formes ovales mais aussi un questionnement sur le regard influencé par la notion de genre. Comment cesser de regarder le monde, les relations avec des yeux sexués depuis l’enfance ? Les lignes de vulve-œil tendent à vouloir dépasser ce pouvoir sociétal ancré dans les méandres d’une pensée, sont une résistance.
Le support, peignoir offert par un des hommes de ma vie, mis en lambeaux et à terre, fait écho à la figure libertaire du manteau de Molloy du roman de Beckett. Chargé dans ses poches de cailloux. Dans le dénuement rôde l’idée d’une errance fluide et solitaire. Le vêtement de sortie de bain déchiqueté, échoué au sol et prolongé plaques d’argiles craquelées, se donne à voir comme une loque investie d’énergies intimes et terrestres.
Sa présence se relie aux autres créations par sa position en aboutissement de la coulée de Méandres mais rejoint aussi la figuration des broderies en cascade de Luce, qui montrent des corps agiles délivrés de la douleur et de l’enveloppe des peignoirs.
Au commencement, les thermes, l’eau qui ruisselle sur le corps. Les soins du corps : sentir l’eau qui enveloppe, l’empreinte du corps dans l’argile, la silhouette agile libérée des douleurs. Quitter les enveloppes de tissu éponge des peignoirs.
Suivre le cours de l’eau qui descend en cascade, devient ruisseau se frayant un chemin entre les roches habitées par les ours et l’argile qui se craquelle.
Le flux s’élargit et décrit un méandre dans lequel naissent les esprits de l’eau, leurs visages déformés par les reflets et les remous. Quelques anguilles suivent ou remontent le courant en laissant la trace solarisée de leur vif passage. D’autres petits poissons bondissent hors de l’eau.
Des visions plus intimes refont surface, rappelant le corps : œil, vulve. Et le flux s’épanouit dans une embouchure tentaculaire charriant des limons argileux multicolores.