Geste
De Henry 4 au square Vert Galant en mars à celui de Henry Sauvage début juillet, il n’y a qu’un pas pour sortir du printemps et entrer dans le vert de l’été, pour passer de Geste
Nous nous sommes accrochées à ses dernières couleurs, deux roses rouges, deux fleurs jaunes de Millepertuis et à un petit chemin improvisé de terre piétinée par des passages sauvages.
La connectique brodée installée en équilibre aux tiges a tenté de se « brancher « à l’appel des pétales jaunes, rouges, mauves des dernières fleurs et a permis de « sentir », par le geste d’un doigt qui s’y glisse, les derniers élans de l’efflorescence.
Les vulves-feuilles du laurier voisin ont tenté de répondre à la rose rouge, telle la Venus, déesse de l’amour profane et sacré.
Les feuilles peintes de façades parisiennes au blanc de Meudon, tourbillonnantes au bout de baleines d’ombrelles plantées dans la terre, ont tenté de ressusciter Henry Sauvage, l’architecte.
Une liane de laine et de cheveux s’est faufilée pour se poursuivre de fils de coton et de fibre végétale comme un composite qui tente aussi de tisser les entrelacs invisibles et visibles de nos créations et nos relations au végétal, au sensible.
Et en clôture les cloches-chapeaux, manipulés comme un jeu d’attrape feuilles-cœur, de petites fleurs oubliées ou de visage endormi ont fêté la rencontre du collectif et de ce square du 18ème arrondissement.
Titres des œuvres citées et présentées:
Luce : Connectique, broderie de laine colorée.
Cloche-chapeau, filet de légume rigidifié à la fécule de pomme de terre et broderie.
Capucine : Vulves à la rose, feuilles de laurier prélevées sur site et cousues avec de la fibre de murier rouge.
Liane de vie, fibre de murier et fils de coton.
Claire : Feuilles spirit of Henry Sauvage, armature d’ombrelle et feuilles de laurier peintes avec du blanc de Meudon au bout de baleines.
Florence : Liane de vie, laine blanche et cheveux.
Vulves à la rose :
Lors de l’observation du square Henry Sauvage, la rose rouge est apparue. Dernier reliquat de couleur du rosier se hissant dans la verdure foisonnante d’un coin un peu sauvage du petit parc. Elle se balance au milieu des milles feuilles vertes estivales. Elle s’impose au regard, provoque le surgissement du symbole de l’amour « romantique ».
Aux pétales de rouge incarnat, la réponse plastique est le rouge teinture de la fibre du murier des vulves-feuilles, le rouge de la muqueuse-chair de la vulve. Les feuilles du laurier voisin sont cueillies pour sa forme oblongue évoquant le sexe féminin et la couture de la fibre écartelée pour y mêler ses multiples plis.
Le laurier, écho lointain à Daphnée qui, voulant échapper aux avances amoureuses d’Apollon s’est transformée en ce végétal ? Evocation d’une revendication de liberté au prix d’une métamorphose?
Toujours est-il que l’idée de l’amour y est en jeu quand une fleur, sexe végétal et symbole du sentiment amoureux dialogue avec une représentation d’un sexe féminin. Echos de formes et de couleurs comme une réponse possible et antinomique de la relation à une évocation de vulve. Entre fascination et répulsion, entre sacré et profane, entre culture et nature au sens large, cette présence est ancrée dans une colère féminine rentrée. L’œuvre exacerbe inconsciemment ce que beaucoup de femme ressentent : la pudeur, la honte naturelle de notre sexe et l’injonction de l’amour « pur » de la rose rouge. Se joue le conflit ancestral du féminin avec l’image de la déesse Aphrodite selon Platon : la dualité entre l’amour « pur » et l’amour « vulgaire et populaire ». L’Idée et le sensible ont été séparés depuis la pensée platonicienne avec l’ Aphrodite Ourania, déesse de l’amour « céleste, pur » et l’ Aphrodite Pandémienne symbole de l’amour de chair « vulgaire »1.
Les vulves de fibres rouges côtoient la rose rouge pour les unir ou confronter les présences visuelles. Elles se balancent toutes les deux au gré du vent, elles dansent, pivotent pour mieux se moquer de leur statuts différents et réparer la blessure ancienne.
Une connectique brodée rouge –orangée est venu ensuite se greffer au dispositif. Posée sur une tige voisine, la broderie tente un lien, une écoute. Mais elle devient aussi, avec sa forme tubulaire présentée de face, un orifice, celui du vagin manquant, qui ne fait que prolonger l’évocation sexuelle. Lien inopiné ? Sororité ? Se sont réunis l’amour, le sexe et l’anatomie, trio qui ne font qu’un, rêve de notre nouvelle présence féminine ?
1- Ouvrir Venus, Nudité, rêve et cruauté, Georges Didi-Huberman, Le temps des images, Gallimard, p 17.